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+++ b/gemini/chroniques/2020/cookie_monster.gemini
@@ -0,0 +1,14 @@
+---
+book:
+ author: Vernor VINGE
+ title: Cookie Monster
+comment:
+ date: 2020-06-21
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146592459
+---
+Dixie Mae, qui a un passé difficile, se réjouit d'avoir décroché un poste prometteur dans un service client novateur de la Silicon Valley, mais un courriel inquiétant va gâcher la fin de sa première semaine de travail. Voilà ce que dit une quatrième de couverture fidèle aux six premières pages d'un récit qui en comprend quatre-vingt douze. Les événements vont ensuite s'enchaîner rapidement et entraîner une poignée de protagonistes vers des considérations technologiques vertigineuses quant à leur environnement et à leur vie même.
+
+Le lecteur amateur de ces vertiges, de mises en abîmes cruelles ou insondables, de paradoxes implacables mais jouissifs, connaisseur sans doute de Greg Egan, pourra esquisser un sourire devant les enchaînements faciles, la linéarité du chemin qui mène nos héros de leur situation initiale à leur dernière étape, ou la paranoïa rapidement galopante digne de certains épisodes particulièrement hors-sol de X-Files. Les héros convergent ainsi vers la vérité en imaginant les hypothèses les plus improbables à la succession de problèmes qu'ils rencontrent, s'affranchissant allègrement du rasoir d'Ockham du début à la fin.
+
+Mais ce serait prendre le récit pour ce qu'il n'est pas ; Vernor Vinge ne s'arrête jamais ici sur l'observation profonde ou esthétique d'un phénomène ou d'un concept ; il mène une histoire directe et non dénuée d'humour, qui va vite, très vite, et qui ne figure pas pour rien dans une collection comme Une Heure-Lumière. Au passage, il se permet de citer abondamment, à travers ses protagonistes, la littérature qui relève des mêmes ressorts... Y compris une référence pointue à son propre roman Un feu sur l'abîme. Comme le dit l'un des personnages : « l'idée a presque un siècle d'existence » (p. 55). Cookie Monster propose une nouvelle version de cette idée ; une version peut-être pas inoubliable mais efficace, qui se lit vite et amène tout de même à se creuser la tête, et qui offre au lecteur un catalogue de titres pour continuer à explorer la même veine.
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+++ b/gemini/chroniques/2020/le_choix.gemini
@@ -0,0 +1,14 @@
+---
+book:
+ author: Paul J. McAULEY
+ title: Le choix
+comment:
+ date: 2020-09-22
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146592460
+---
+Lucas et Damian grandissent près d'un Norfolk à moitié englouti. L'un s'occupe de sa mère, l'autre subit son père. Un événement extraordinaire s'est produit près de là, et tous deux partent à la découverte de l'inconnu sur le frêle voilier de Lucas... En peu de pages (nous sommes dans la collection Une Heure Lumière), Paul J. McAuley nous plonge sans peine dans un décor post-apocalyptique côtier sur lequel planent les rumeurs d'activistes écologiques et de groupes dangereux, ainsi que les lointains échos d'un monde qui s'est détruit lui-même au moment où il rencontrait enfin d'autres espèces intelligentes aux intentions assez floues.
+
+Il y a dans la science-fiction ce que l'on nomme le « sense of wonder » : le grandiose, les vertiges dûs aux dimensions ou aux temporalités infinies, les batailles immenses ou les complots qui décident du devenir d'une galaxie... Mais ce sens n'est rien s'il ne prend appui sur l'ordinaire, celui des gens qui sont pris dans le maelström des événements, qui le traversent, ou qui se trouvent confrontés à lui à un moment de leur existence. C'est l'histoire de Rhysling dans « Les vertes collines de la Terre » de Heinlein, simple bourlingueur de l'espace qui devient une légende, ou de l'équipage du Nostromo qui ne sont que des travailleurs fatigués avant d'être confrontés à l'indicible. C'est l'histoire d'un Luke Skywalker qui vit au milieu de nulle part quand il rencontre deux droïdes. Autant de récits où l'individu est magnifié, transformé ou bien écrasé par une réalité qui dépasse le monde qui l'entoure. De la même manière, l'innocente excursion des deux adolescents va marquer une rupture dans leur existence, et la faire fléchir selon une trajectoire propre. Et si ni Lucas ni Damian ne sera un nouveau Rhysling, une Ripley ou un Skywalker, chacun d'eux sera révélé par l'expérience qu'il aura traversé.
+
+De prime abord, la novella de Paul J. McAuley avance le plus souvent d'un rythme presque contemplatif, et la courte épopée de Lucas évoque les débuts d'un capitaine de marine Hornblower échoué dans un monde déliquescent. Mais si ce développement est le plus souvent passif, l'étrange et l'inquiétude naissent continuellement d'une allusion ou d'un élément du décor ; de ce paysage de ruines que l'on sait n'être qu'une infime partie d'un univers qui vient de s'ouvrir. Et malgré la description toute en moiteur d'un littoral dévasté, quelque part entre une Venise dépeuplée et le bayou, on ressent le trouble du « sense of wonder » dans la moindre évocation d'extra-terrestres, de dragons, de portails spatiaux qui existent quelque part derrière la toile de fond du récit. Lorsque l'incompréhensible et toute cette altérité invisible crèvent cette toile pour traverser en un éclair le récit, c'est avec une force inattendue qui en décuple ses effets.
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--- /dev/null
+++ b/gemini/chroniques/2021/dune.gemini
@@ -0,0 +1,22 @@
+---
+book:
+ author: Frank Herbert
+ title: Dune
+comment:
+ date: 2021-03-31
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146618522
+---
+Il est certains romans qui marquent les esprits, voire posent un jalon, et dont le titre vient prendre place à plus ou moins brève échéance dans les listes des lectures qu'il faut avoir faites. Listes qui se déclinent le plus souvent par genre, quoi que l'on entende par là, et qui sont alors une excellente porte d'entrée au dit genre pour le lecteur curieux. Dune, de Frank Herbert, est de ceux-là.
+
+Dune est aussi un de ces monuments dont j'ai longtemps repoussé la lecture par manque d'intérêt pour les cycles qui s'éternisent, par désir parfois de ne m'attaquer à ce sommet qu'au moment le plus opportun. Et puis l'année 2020 a vu la sortie de plusieurs essais ou magazines à propos du cycle. Dans le même temps, les éditions Robert Laffont proposaient une réédition avec une traduction révisée et Denis Villeneuve terminait une nouvelle version cinématographique du roman. Au milieu de tant d'événements éditoriaux, et au terme d'une soixantaine d'années durant lesquelles des préfaciers et des essayistes de tous poils ont eu à coeur d'analyser l'œuvre sous toutes ses coutures, écrire quelque chose de neuf à ce sujet est une gageure. Sauf à les ignorer complètement et à coucher ici les impressions qui restent sitôt la lecture finie.
+
+L'histoire est certainement connue du plus grand nombre comme j'en connaissais les grandes lignes bien longtemps avant d'ouvrir enfin le livre. Aucune planète n'est aussi inhospitalière dans tout l'Empire qu'Arrakis, ce monde désertique entièrement recouvert de sable et de roches et que l'on appelle aussi Dune. Pourtant c'est seulement sur Arrakis que l'on trouve l'Épice, ou plutôt le Mélange, ce produit qui permet d'augmenter la conscience des hommes et des femmes et qui leur donne des capacités indispensables aux voyages interplanétaires. La planète va devenir le théâtre de manipulations, de vengeances et de trahisons entre l'Empereur et deux des grandes Maisons qui règnent sur l'Empire, les Harkonnen et les Atréides. Dans le même temps, la Guilde des Marchands essaie de conserver son emprise sur les voyages spatiaux, les Fremen tentent de survivre sur Arrakis ainsi qu'ils l'ont toujours fait et le Bene Gesserit, cet ordre religieux féminin à la fois respecté et détesté, manœuvre dans l'ombre afin de voir l'avènement de son grand projet : le Kwisatz Haderach, un homme supérieur. Sur l'espace d'une dizaine d'années, Frank Herbert prend le temps de détailler son univers, la planète Arrakis, et le passé des Maisons, des factions et des peuples qui s'y rencontrent.
+
+Dune est incontestablement un roman de science-fiction. L'action de déroule à des milliers d'années de notre époque, et il y est question de mondes éparpillés dans un univers immense, de manipulations génétiques, de perception extra-sensorielle ou encore d'armes et de véhicules futuristes. Cependant, et tournant le dos en cela aux ouvrages de la décennie précédente qui font la part belle aux aventuriers, aux expéditions spatiales héroïques et à un exotisme de façade, la technologie la plus avancée de Dune côtoie les décors les plus rustiques et réalistes. Dans la forme féodale qui fait l'Empire, dans le mysticisme omniprésent, ou dans le rapport de forces permanent entre les seigneurs qui défendent leur fief, les marchands et le Bene Gesserit, le roman nous renvoie en permanence vers le passé et des formes de société que l'on pourrait penser rétrogrades. Gérard Klein aborde longuement le sujet dans sa postface, aussi intéressante que la préface de Pierre Bordage est sensible.
+
+Le terme de théâtre utilisé plus haut est à la fois trompeur et bien choisi. Il est trompeur d'abord parce que Dune, loin d'être une toile de fond, est un monde profondément incarné. Frank Herbert a imaginé un écosystème à l'échelle d'une planète, avec sa (pauvre) végétation, ses animaux, sa météorologie et sa géologie particulières. Il y a placé des peuples qui ont une histoire ainsi que des coutumes en rapport avec leur environnement. Enfin, il a placé ce monde dans un Empire complexe, chargé de conflits. La planète est un personnage au même titre que les protagonistes des grandes maisons, et bien plus présente que certains d'entre eux tel l'Empereur, personnage à la fois omniprésent et absent, qui n'est mis enfin en scène que pour mieux disparaître.
+
+Dune est un théâtre pourtant, parce que la narration de Frank Herbert est une succession de tableaux, certains porteurs d'un grand pouvoir d'évocation ou d'une beauté à couper le souffle. À la manière de Fritz Leiber qui peint dans tout son cycle de la guerre uchronique des affrontements et des bouleversements qui se déroulent toujours en coulisse, mais de façon plus dynamique cependant, il enchaîne les scènes où la parole est l'élément primordial. L'immersion est pourtant importante, malgré la lenteur initiale du récit, grâce à l'étrangeté immédiate de l'histoire, à sa complexité et à l'originalité de son vocabulaire, les éléments d'exposition (fascinants en eux-même mais hors du récit) étant relégués sous forme d'annexes. Cette façon de faire est encore accentuée par les extraits des ouvrages qui introduisent chaque chapitre et de manière plus prégnante encore par une narration en permanence entrecoupée des pensées des personnages de la scène. Le récit n'est certes pas statique mais même lorsque l'action survient elle est l'occasion d'une description du décor, du matériel, d'une réminiscence, ou alors elle s'accomplit plus rapidement que le dialogue de deux personnages.
+
+Dune est un creuset d'inventions et d'idées dont la forme et le fond sont les meilleurs arguments pour en finir avec le classement artificiel des livres selon un genre. Mais le message qui domine l'ensemble est certainement la défiance qu'il faut avoir envers l'homme providentiel, le héros intouchable. Tout héros est humain, et la raison ne doit jamais perdre son sens critique devant l'adoration. Et sans présager du reste du cycle, les pentes suivies par les personnages au terme du livre laissent à penser que le Messie de Dune est un deuxième ouvrage tout aussi intéressant et pourtant profondément différent de celui-ci.
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+++ b/gemini/chroniques/2021/eternity_incorporated.gemini
@@ -0,0 +1,22 @@
+---
+book:
+ author: Raphaël Granier de Cassagnac
+ title: Eternity Incorporated
+comment:
+ date: 2021-03-02
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146579152
+---
+C'est une étrange impression que de lire Eternity Incorporated dans la situation actuelle, après déjà une année de pandémie grave. Pourtant le choix du livre a comme d'habitude été guidé par le goût de varier les genres, les styles et les longueurs de récit, et de déplacer les livres trop longtemps restés à la même place dans la bibliothèque.
+
+La tentation est grande dans de telles circonstances de comparer l'actualité emmenée par le virus qui se propage depuis une année et le futur raconté dans le roman. Ce serait pourtant un exercice assez vain. Les auteurs de science-fiction extrapolent les tendances, déplacent un point de vue ou font des rapprochements inédits, mais ils ne sont pas des prophètes. Les littératures de l'imaginaire explorent avant tout le présent, c'est à dire dans ce cas une réalité qui date d'il y a dix ans et non pas la nôtre, le roman ayant été publié en 2011. En outre, l'objet du roman est essentiellement l'analyse d'une société sous cloche, et non pas celle d'un mal qui est un prétexte à son existence... Encore que ?
+
+Le récit de Raphaël Granier de Cassagnac se situe donc dans un monde à la fois très éloigné et proche du nôtre. Proche dans la description d'une société moderne et à la technologie guère futuriste ou surprenante. Mais éloigné parce que même victimes nous aussi d'un virus qui envahit tous les continents, nous sommes loin de cette planète ravagée sur laquelle l'humanité s'est réfugiée dans des bulles hermétiques et isolées au sein desquelles elle a cédé tout pouvoir à des entités électroniques nommées Processeurs. Le Virus, avec une majuscule, a proprement décimé le règne animal et après quelques siècles de survie dans ce contexte seule une bulle abrite encore des humains vivants. À l'extérieur, de mystérieux mutants rodent.
+
+Lorsque le roman débute, le Processeur de la dernière bulle habitée cesse de fonctionner, une chose inimaginable et proprement angoissante pour tous. La perte du Processeur signifie la disparition des connaissances les plus avancées et la fin d'une surveillance efficace de l'extérieur. Le récit se déploie dès lors en suivant les pistes de trois protagonistes. Sean Factory est un artiste, une sorte de DJ qui côtoie les marges de la société, une frange hédoniste qui se passerait bien du contrôle du Processeur et qui poursuit des idéaux de liberté. Ange Bernett quant à elle fait partie des brigadiers de l'extérieur, ceux qui patrouillent aux alentours immédiats de la cité et qui supervisent les réparations de la bulle. Gina Courage enfin dirige le service qui assure l'ensemble des connexions entre les citoyens et le Processeur. C'est une femme volontaire et entièrement dévouée à ce dernier, et qui jette un regard assez condescendant sur les capacités des membres du conseil qui régissent la société.
+
+Cette société est donc justement, avec le mystère qui entoure l'histoire de la bulle et le fonctionnement du Processeur, le principal intérêt de l'intrigue. En premier lieu par son étrange construction rigide qui se manifeste jusque dans l'uniforme qui affiche la profession de chacun. Par sa proximité avec les biais et les préjugés de nos sociétés actuelles, au premier rang desquels la couleur de peau qui est toujours une frontière infranchissable pour les actions les plus élémentaires que sont se loger et s'aimer. Ensuite par son fonctionnement qui s'appuie sur le choix aléatoire d'un ensemble de conseillers parmi la population des citoyens. C'est là l'aboutissement d'une option pas inintéressante qui a déjà été appliquée dans l'Histoire et dont les limites sont peut-être, comme le souligne Gina, la capacité de ces « élus » à assumer leur tâche. Enfin, parce que les courants qui la traversent ne sont pas tout à fait aussi caricaturaux que l'on pourrait le craindre dans ce genre d'histoire. Ainsi le corps des brigadiers n'appartient pas au mouvement le plus réactionnaire et traditionaliste, et les intentions des citoyens les plus à gauche (pour parler avec un vocabulaire actuel) sont bien diverses et contradictoires.
+
+Alors l'édifice est fragile, voire un brin naïf ; la majeure partie des citoyens semble bien silencieuse et rarement on ressent la présence d'une foule finalement peu inquiète des événements. Mais l'ensemble se tient et l'écriture est fluide et efficace. Je m'interroge encore sur la signification d'une « écriture singulière et sans tabou » annoncée sur la quatrième de couverture, mais il faut savoir ignorer ce genre de slogan qui se veut accrocheur pour éviter toute désillusion.
+
+La fin du récit apporte toutes les réponses aux questions levées depuis son point de départ. La vérité déborde d'ailleurs sérieusement des plis de la narration à partir de la moitié du chemin, et il n'est pas compliqué de deviner la signification des découvertes que font les protagonistes au cœur du Processeur. Cependant, ce que l'auteur avait exactement en tête reste original jusqu'au bout. Et si l'on s'accroche quelques pages pour renouer les fils de sa conclusion qui tranche brutalement avec le cours du récit, le fin mot de son histoire ne manque pas de surprendre, sauf à être d'un naturel aussi pessimiste que lui en ce qui concerne la nature humaine.
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+++ b/gemini/chroniques/2021/l_arithmetique_terrible_de_la_misere.gemini
@@ -0,0 +1,24 @@
+---
+book:
+ author: Catherine Dufour
+ title: L'Arithmétique terrible de la misère
+comment:
+ date: 2021-05-04
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146616808
+---
+Lorsque je tourne la couverture de « L'arithmétique terrible de la misère », je n'ai je crois encore lu aucune fiction de Catherine Dufour. Je dois cependant au club d'adeptes de science-fiction local de connaître une partie de sa bibliographie. Je la connais aussi pour avoir écouté avec intérêt ses interventions aux Utopiales à Nantes depuis quelques années, et sur France Culture ou sur Radio Cause Commune. Je sais qu'on peut la lire régulièrement dans le Monde Diplo ou chez Libé. Et surtout j'ai lu avec grand plaisir sa biographie de Ada Lovelace. J'ai apprécié l'important travail de documentation, le style limpide et l'humour bienvenu. J'ai souri lorsqu'elle fait mention du très drôle et très documenté travail de Sydney Padua. Et j'ai été scotché qu'elle fournisse le lien vers un long article de Stephen Wolfram qui figurait déjà, et qui figure toujours d'ailleurs, dans la trop longue liste des articles qu'il me faut lire encore pour tenter d'assouvir une insatiable soif de connaissances éclectiques.
+
+C'est donc avec curiosité mais sans aucune crainte que je me plonge dans cet ouvrage. Le livre est sorti au mois d'octobre 2020 et il s'agit du deuxième recueil de l'autrice au Bélial'. La couverture de Caza est dans la même ligne que celle du précédent opus que j'ai déjà failli acheter plus d'une fois, remettant toujours l'acte à plus tard. L'ouvrage est préfacé par Alain Damasio et se termine avec une bibliographie d'Alain Sprauer. Autant de beau monde réunit autour d'une quinzaine de nouvelles, voilà qui est prometteur.
+
+À l'intérieur l'ouvrage présente deux particularités. D'abord celle de proposer plusieurs « short short » dans l'interstice de deux nouvelles. Toutes sont basées sur l'idée de pouvoir revivre des séquences émotionnelles passées, un thème développé par Ken Liu (qu'elle cite) dans « L'homme qui mit fin à l'histoire ». Elles sont l'émanation du groupe Zanzibar auquel participe Catherine Dufour. À moins que ce ne soit le travail de cette dernière au sein du groupe ? Je ne connais pas assez leurs travaux et je n'ai pas trouvé de réponse exacte dans le volume.
+
+Deuxième bizarrerie, les deux textes relégués en fin d'ouvrage dans un appendice intitulé « ceci n'est pas de la science-fiction ». Le procédé peut surprendre mais cette incise de littérature prétendument blanche, et plutôt très noire, ressemble tout à fait à Catherine Dufour qui a à cœur d'explorer dans tous ses récits les travers de la société et ses rapports de force, qu'ils soient du présent ou du passé, qu'ils se placent dans un univers d'héroic-fantasy, dans la plus contemporaine de nos campagnes ou dans les villes surpeuplées de demain. Et particulièrement la place de la femme.
+
+Or cet appendice contient précisément deux textes qui explorent cela. Je ne sais si le premier, « La vie sexuelle d'Alfred de M. », se veut une introduction à son Lorenzaccio ou si l'autrice a éprouvé le besoin de revenir sur le sujet. Toujours est-il qu'il relate toutes les humeurs et les sentiments les plus égotiques et sexistes d'une époque et d'un territoire ; l'Europe. Et si le récit détaille les atermoiements, le phallocentrisme de Musset, la conclusion ne manque pas d'élargir l'horizon. Très loin. « Coucou les filles » est au contraire une sorte de huis clos dans l'esprit d'une femme fortement rivée à notre époque. Une note d'intention l'accompagne pour expliquer la raison de cette fiction misandrique. Et si je suis d'accord avec Catherine Dufour pour dire qu'il est intéressant qu'un tel texte existe, j'ai en revanche l'impression qu'elle manque son coup et que la misandrie recherchée se noie dans les pensées perturbées d'un personnage réduite à un cas clinique plutôt qu'à un portrait en miroir du misanthrope.
+
+Le reste des textes est un tour de la société de demain, de ce soir même. Telle nouvelle nous installe dans une France qui est presque déjà la nôtre, sur la route des sans-papiers. Telle autre nous dévoile la face la plus sordide de micro-travail (mais en existe-t-il une acceptable ?), et d'autres interrogent notre rapport aux machines. Toutes nous exposent à la violence, à la place des femmes, des étrangers ou des marginaux, mais sans jamais aucun misérabilisme. En fait, dès la nouvelle qui donne son titre au recueil, je repense à l'ouvrage « Au Réveil il était midi » de Claude Ecken ; même constat sans pathos de notre société, même angle de vue optimiste malgré les sujets abordés.
+
+Enfin, il faut noter l'humour à peu près omniprésent qui traverse les textes de Catherine Dufour comme ses discours. Un humour qui glisse de l'ironie pure au constat rageur, avec des formules simples, goguenardes ou « coupantes » comme le souligne Damasio dans sa préface. Un humour à la manière de Samuel Vimaire lorsqu'il s'interroge, bouillonnant ou faussement naïf, sur une société apparemment très éloignée mais pas si différente de la notre sur bien des points.
+
+Pour qui voudrait l'enfermer dans des cases, « L'arithmétique terrible de la misère » appartiendrait à cette branche de la science-fiction que l'on pourrait qualifier de fiction spéculative franchement ancrée à gauche, si cela a encore un sens aujourd'hui. Mais le recueil se rit des cases, aussi bien dans la forme que dans le fond, et ces nouvelles prêtent simplement à réfléchir, à rire, à grincer des dents et à avoir mal. Le propre de toute bonne littérature.
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+++ b/gemini/chroniques/2021/l_effet_coccinelle.gemini
@@ -0,0 +1,21 @@
+---
+book:
+ author: Yann Bécu
+ title: L'Effet coccinelle
+comment:
+ date: 2021-12-07
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146621761
+---
+Si les voyages dans le temps sont un topos de la science-fiction, éminemment casse-gueule au demeurant, celle-ci offre également des manières plus originales de jouer avec la chronologie. D'abord bien sûr par le biais d'uchronies grâce auxquelles elle la réinvente. Mais aussi en prenant du recul, beaucoup de recul, afin de voir la frise temporelle comme une sorte de tableau. Il en va ainsi de La fin de l'éternité d'Isaac Asimov, où l'Éternité du titre est
+une société sise dans un futur tel qu'elle semble hors du temps, et qui envoie ses agents tout au long de l'Histoire afin de garder celle-ci sur les rails que nous connaissons, et ce faisant permettre son existence. Fritz Leiber, dans le cycle La guerre des modifications, (ou La guerre uchronique), décrit quant à lui un univers dans lequel deux camps, celui des serpents et celui des araignées, se battent tout au long du temps pour faire pencher la victoire de leur côté. Des humains, comme des membres de toutes les races de l'univers, sont extraits de leur propre trame temporelle pour servir de fantassins à un camp ou à l'autre.
+
+Cette vision du monde est en quelques sortes aussi la toile de fond de L'effet coccinelle de Yann Bécu. Ici, une société extra-terrestre à peu près omnipotente, la Ruche, va de planète en planète afin d'y créer des mondes et de nouvelles espèces évoluées. Cette société est structurée comme une société bien humaine, avec ses dirigeants, ses ingénieurs et ses ouvriers. Ces derniers, dits les boueux, mouillent la chemise pour faire avancer les projets, ou plutôt prennent possession de corps dans le monde en construction afin de donner les coups de pouce nécessaires pour aller dans le bon sens de l'évolution. Les cols blancs, loin de ces considérations pratiques, planifient, ordonnent et sont récompensés si le résultat est satisfaisant.
+
+Or le projet Homo Sapiens a du plomb dans l'aile. Et du gros calibre. Chez les ingénieurs et les boueux de la Ruche, c'est le branle-bas de combat pour rattraper le coup, si possible avec discrétion tant les infractions vont être nombreuses pour parvenir à un résultat satisfaisant.
+
+À travers la description de services plus ou moins iconoclastes (service prévisions, service des fraudes, service juridique, ressources humaines, etc.) Yann Bécu dégomme joyeusement les archétypes du monde entrepreneurial. Mais son humour vachard se penche sérieusement sur une autre forme de société, fortement liée à la raison pour laquelle le projet est en train de capoter : la religion. La religion dans son principe et toutes les religions dans leur forme ; c'est à dire les entreprises qui exploitent les interrogations intimes de chacun, qui cherchent à asseoir leur puissance monopolistique, qui s'affrontent à coup de Vérités, de menaces voilées et de guerres si cela ne suffit pas. Et à travers elles, sont visées la suffisance, le mépris, le calcul mesquin de chacun.
+
+Le récit est structuré selon deux fils. Le premier d'entre eux suit les pas de trois boueux débarqués à notre époque, trois êtres abîmés par des siècles de labeur et par les émotions engrangées au contact des humains sur une si longue durée. Trois trognes à la gouaille particulière, d'autant qu'ils sont capables de jurer en araméen ou dans d'autres dialectes encore plus oubliés. Et entre chaque chapitre, quelques pages apportent un contre-champ franchement drôle avec des scènes de la trajectoire d'un jeune policier qui essaie de mettre le grappin sur ces personnages bizarres et si dissemblables, apparemment échappés d'une sorte d'asile breton.
+
+Entre humour grinçant, poésie et rêveries autour du monde antique et des amours perdues, le roman se lit facilement d'une traite. S'il comporte bien un ventre mou une fois le premier tiers du récit déroulé, la plume de l'auteur n'est jamais insistante ; ses descriptions sont fluides, les chapitres courts, et le texte est émaillé de clins d'œil (certes parfois faciles) sur les épisodes les plus connus de l'Histoire ou sur les télescopages entre les différentes époques vécues par les boueux. Yann Bécu enfin, offre la démonstration hilarante que de Baudelaire aux Feux de l'amour, il ne saurait y avoir de hiérarchie entre les cultures pour des êtres millénaires.
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+++ b/gemini/chroniques/2021/la_planete_des_singes_et_autres_romans.gemini
@@ -0,0 +1,26 @@
+---
+book:
+ author: Pierre Boulle
+ title: La Planète des singes et autres romans
+comment:
+ date: 2021-11-29
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146580137
+---
+Pierre Boulle est un écrivain de la seconde moitié du XXème siècle. De formation scientifique, il a choisi l'écriture pour métier au sortir de la guerre, après avoir vécu une première vie comme ingénieur dans une plantation en Asie. Il est aujourd'hui universellement connu pour le film tiré de son roman Le pont de la rivière Kwaï, qui repose sur ses souvenirs de captivité, et également pour les films ou la série basés sur La planète des singes. Ce dernier est un récit de pure science-fiction et, comme le souligne Jacques Goimard dans sa postface, l'originalité de Pierre Boulle est d'avoir écrit une proportion importante de récits appartenant à ce genre, à une époque où le terme apparaissait tout juste en France. Or si de nombreux écrivains ont tâté de l'anticipation, de la fiction spéculative ou du fantastique à cette époque où les genres n'étaient pas si cloisonnés, Pierre Boulle fait figure d'exception par la proportion de sa production sur ce thème, même aux côtés d'un René Barjavel. Voilà qui justifie ce volume de plus de 1000 pages, avec une sélection de ses premières nouvelles ainsi qu'une série de romans dont les dates de parution courent de 1963 à 1988.
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+La science-fiction de Pierre Boulle se caractérise tout d'abord par sa bonne connaissance de la science de son époque. Sa formation et son intérêt continu pour les découvertes contemporaines lui permettent d'exposer très clairement ses idées. Mais elle se caractérise également par son humour. Qui peut être simple et populaire, comme dans la nouvelle L'amour et la pesanteur, un long gag dont le titre dit tout. Ou plus narquois, comme dans Une nuit interminable, où l'ironie s'entrelace avec la précision du savoir de l'auteur pour livrer un jeu jouissif sur les paradoxes temporels ; l'écriture est d'époque, mais le ton proche de celui de The curse of Fatal Death, l'épisode parodique de la série britannique Doctor Who dans lequel le Docteur et le Maître remontent toujours plus loin dans le passé pour contrecarrer les plans de l'autre.
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+Avec Le poids d'un sonnet, Pierre Boulle imite le principe d'enquête méthodique de Poe dans Le scarabée d'or, mais en exploitant jusqu'à l'infaisabilité une idée technique parfaitement rationnelle. Souvent, ses histoires ressemblent à une fable. Ainsi en va-t-il de Le parfait robot, qui raconte la quête d'entreprises concurrentes qui cherchent à reproduire l'homme et ne parviennent à la perfection que lorsque leurs créations reproduisent également l'imperfection. Dans L'homme qui haïssait les machines, un homme confie au narrateur son combat contre les machines et l'asservissement par les calculateurs. Ce combat, puéril et sympathique au début, se mue rapidement en une véritable obsession et l'homme s'enfonce dans la folie et la paranoïa, jusqu'à perdre lui-même la raison qu'il tentait de détruire chez les machines.
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+La langue de Pierre Boulle, son vocabulaire riche et la naïveté ou les exclamations dont il use font immédiatement penser à l'écriture des auteurs du milieu du siècle dernier. Ce style, vu d'ici, a parfois encore quelque chose du fantastique ou du merveilleux scientifique. Mais il faut se garder de juger ces textes sans considérer la distance qui nous sépare d'eux. Encore une fois, la science y est souvent stricte et maîtrisée, et malgré l'atmosphère parfois surannée ou étrange qui s'en dégage ils sont d'une implacable modernité. Car s'il décrit la ville et les campagnes françaises comme René Fallet, Pierre Boulle s'intéresse avant tout à l'actualité des sciences ou de la société.
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+Cette actualité, c'est d'abord la guerre froide et le péril atomique. Ainsi Les luniens reprend, avec une grande ironie encore, le développement scientifique parallèle des russes et des américains qui installent des bases sur la lune et louent les extra-terrestres qu'ils y rencontrent jusqu'à ce qu'ils prennent conscience de leur identité. Dans E=MC² ou le roman d'une idée, Boulle s'interroge sur la pertinence du progrès et l'innocence des savants en imaginant une histoire alternative du développement de la physique quantique qui aboutit à un Hiroshima aussi dramatique que celui que nous connaissons, malgré des intentions parfaitement opposées. Dans Les jeux de l'esprit (1971), les tensions politiques et l'incompétence qui ont mené le monde au bord du chaos sont le point de départ d'un futur (maintenant antérieur) dans lequel les hommes et les femmes de science prennent le pouvoir. L'avenir semble radieux et la faim et les guerres disparaissent en un temps record. Mais le sens de la vie ne se résume pas à une simple planification logique des ressources de la planète, et la science doit faire marche arrière afin de trouver comment occuper l'humanité.
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+Avec Le bon Léviathan (1977) vient la découverte de la pollution et du cynisme du capitalisme : le Gargantua, un cargo à propulsion nucléaire d'une taille jamais vue, est construit puis attaché à un port de la côte atlantique française. D'abord craint par les populations locales et par tous les marins du monde, il attire ensuite à lui tous les miséreux lorsqu'un étrange miracle se produit à son contact. Dans Miroitements (1982), la critique du progrès se double d'un commentaire sur la politique. Un président écologiste est élu sur la promesse d'une énergie propre, peu chère, et de la libération grâce à elle des travailleurs. Hélas, l'enfer est pavé de bonnes intentions et le gouvernement va devoir louvoyer pour tenir cette promesse jusqu'à totalement renier ses motivations. Plus étrange et fantastique, L'énergie du désespoir (1981) prend l'expression de son titre au pied de la lettre et décrit l'exploitation du mal être des jeunes au moment de la puberté afin de produire presque gratuitement de l'électricité. Il s'agit peut-être du récit le plus cynique du lot.
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+Il semble qu'on doive aujourd'hui reprocher à Pierre Boulle son parti pris à l'encontre de l'écologie. Mais c'est davantage les personnes que la matière qu'il critique, et les écologistes savent être aussi radicaux et obtus que les scientifiques ou les politiciens. Au contraire, l'écologie dans son sens premier et son équilibre fragile sont présents à travers maintes descriptions de lieux, en particulier dans Miroitements. Avec La baleine des Malouines (1983), Pierre Boulle s'attendrit pour une baleine qui perturbe l'armada britannique en route pour la guerre des Falkland. L'auteur y décortique encore les contradictions des hommes, et c'est la rigidité toute militaire qui est cette fois dans son viseur alors que les hommes de la mer font figure de sagesse. Dans Le professeur Mortimer (1988), le bien être animal est encore davantage ausculté. Médecin réputé, à la pointe de la recherche contre le cancer, le professeur qui donne son titre au roman abandonne ses cours, son laboratoire et ses patients pour prendre sa retraite et se retirer sur une île où il fait bâtir un centre pour poursuivre seul ses travaux. Mais son intérêt pour la médecine dépasse celui qu'il a pour son prochain.
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+Il est intéressant de considérer enfin La planète des singes (1963), le roman le plus ancien et le plus connu du recueil, au regard des thèmes développés ensuite. Car s'il est connu, c'est surtout pour les adaptations cinématographiques auxquelles il a donné naissance, et en particulier au film de 1968 avec ses images si marquantes. Il faut donc oublier ici un instant Charlton Heston, la statue de la Liberté, la guerre atomique... Dans son roman, Pierre Boulle se penche sur l'évolution de l'homme, en tant que créature et en tant qu'animal social. Il s'interroge sur ce qui fait la société, sur l'origine de nos rituels. Et déjà, il y analysait le comportement et les relations des singes (donc de hommes) en les catégorisant en trois castes ; le personnel scientifique, les politiciens et les tenants de l'ordre.
+
+Il n'y a pas de Héros chez Boulle, et il semble qu'il n'existe aucune Vérité. Tout le monde a ses faiblesses, toute action a ses avantages et ses inconvénients, et personne ne détient la solution au bonheur, ou même à la simple paix dans le monde. Dans son univers, la science semble être la voie à suivre mais elle se pare parfois de mysticisme et il faut savoir se garder du progrès qui n'est pas systématiquement une bénédiction. Tout au long des récits réunis dans cet Omnibus, Pierre Boulle exacerbe les intentions des ingénieurs, des hommes politiques, des entrepreneurs, des écologistes, des militaires... Il les revoie dos à dos, montre leur naïveté ou leur étroitesse d'esprit, leur incapacité à communiquer ou à comprendre les autres, au risque parfois de décrire de simples archétypes. L'ensemble est agréable à lire, bien que l'intérêt de l'intrigue marque le pas sur les romans les plus tardifs. La baleine des Malouines peut presque se réduire à une succession de scènes incongrues. Le professeur Mortimer quant à lui ne laisse pas planer grand mystère sur son dénouement, et seule la description de certains personnages permet de conserver le plaisir de la lecture. Mais pour qui aime la science-fiction française qui va de Maurice Renard à Michel Jeury, Pierre Boulle offre fait partie des auteurs qu'il est intéressant de lire.
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+---
+book:
+ author: Estelle Faye
+ title: Les nuages de Magellan
+comment:
+ date: 2021-08-02
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146616687
+---
+Damian Sabre, un leader parmi les pilotes rebellés sur la planète Ankou, lance un plaidoyer vibrant afin que les Hommes puissent retrouver la liberté de mouvement et l'esprit d'aventure et de découverte des pionniers qui s'élancèrent jadis à l'assaut de la galaxie. Face à eux, les Compagnies qui gèrent toute circulation dans l'espace ont tôt fait de mater la fronde et de la manière la plus définitive qui soit.
+
+Non, ce n'est pas là le résumé du livre mais celui de l'événement dramatique relayé par tous les canaux de communication de l'univers et qui va provoquer la fuite de Dan, jeune serveuse attirée depuis longtemps par les étoiles, soudain recherchée par les Compagnies pour dissidence. Son départ précipité la jette dans les pattes de Mary, une mystérieuse habituée du rade dans lequel travaillait la serveuse et qui semble avoir de sérieuses raisons pour quitter elle aussi la planète rapidement. On dit que Mary a été en rapport avec les pirates à la grande époque. On dit que les pirates ont fondé une société hors de portée des Compagnies sur une planète connue d'eux seuls. On dit...
+
+En moins de deux chapitres, le ton et le cadre de l'histoire qui va suivre sont donnés. L'aventure se déroule à la croisée du récit d'initiation et du Space Opera. La narration suit alternativement les voix de Dan et de Mary, et si on peut être agacé par le ton un peu répétitif et geignard de la première qui s'émancipe et s'affirme lentement, les personnages dans leur ensemble sont suffisamment caractérisés pour suivre avec plaisir les pensées de l'une, les souvenirs passablement trafiqués ou les images obsessionnelles de l'autre.
+
+La réussite d'un récit d'initiation réside dans le talent que déploie l'auteur pour enchaîner les situations permettant à ses protagonistes de progresser et de se développer. Or, et même si en fait de Space Opera Dan et Mary vont surtout stationner longtemps sur une planète en particulier, point de fatigue ni de longueurs ici. Ceci grâce à une longueur correcte du récit, qui permet le déroulement efficace de tous les fils narratifs sans atermoiements inutiles, et une variété intéressantes dans les paysages et les communautés rencontrées. Cette large partie du récit est aussi l'occasion pour les héroïnes de rencontrer d'autres personnages particulièrement atypiques. La part belle est faite aux caractères féminins, à tel point que sur l'espace de quelques chapitres, on peut avoir l'impression que le masculin est seulement réservé à des seconds rôles permettant au récit d'avancer.
+
+L'aventure a beau avoir pour toile de fond l'épopée épique des pionniers et des pirates qui leur ont succédé avant de disparaître à leur tour, elle s'ancre dans un certain réalisme loin des odyssées fantastiques imaginées au mi-temps du siècle dernier. En effet, si l'imagerie des pirates dans la galaxie est maintenant presque un poncif du genre, elle y tient naturellement sa place tant il existe une parenté entre la navigation maritime et l'exploration des airs puis de l'espace. Par ailleurs, l'existence de Compagnies qui exercent un contrôle strict sur les voies de circulation trouve également ses sources tout au long de la longue histoire du commerce, depuis les phocéens jusqu'aux comptoirs dans les océans indien ou pacifique, en passant par la Hanse germanique. Dans un mode peut-être plus métaphorique, cette opposition entre grandes puissances et dissidents libertaires est tout aussi représentative de ce qu'est le World Wide Web à ce jour, pirates compris.
+
+Estelle Faye signe donc là un roman dont les ressorts ne sont pas près de manquer d'actualité. Les nuages de Magellan sont un roman court, au style facile à lire, qui s'inscrit dans une certaine déclinaison moderne du Space Opera, où les batailles rangées et les héros invincibles laissent place à des factions plus mouvantes et des personnages plus profonds, et il est en définitive une agréable lecture.
+
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+---
+book:
+ author: Rodolphe Casso
+ title: PariZ
+comment:
+ date: 2021-08-25
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146593982
+---
+Le pitch est vite dressé : c'est l'apocalypse Zombie. Encore. Mais cette fois ça se passe à Paris. Et si le récit se déroule longuement dans les sous-terrains de la capitale, il se distingue du Métro 2033 de Dmitri Glukhovski par une catastrophe toute récente et abrupte, dont le résultat est la disparition complète de la société. Par ailleurs, les principaux protagonistes ne sont pas des mâles aux pectoraux sur-développés qui manquent de faire craquer leur débardeur poisseux à chaque inspiration, ni des pères de famille timorés mais pas trop et donc forcément héroïques et courageux, mais des clochards largement imbibés flanqués d'une paire de miliciens fascistes.
+
+Rodolphe Casso a écrit sur la musique, le cinéma ou le jeu vidéo et cela se voit. Il y a quelque chose de cinématographique dans certains tableaux, dans cette insertion de plans très courts qui décrivent les interventions de ce qui reste des forces aéroportées de l'armée française. Il y a un rythme et des postures propres aux héros si prévisibles qui squattent les premiers rôles des films ou des séries américaines à gros budget. Il y a aussi la présence de la musique, depuis Brel ou Dassin jusqu'à la Drum and Bass ou la Techno hardcore aux BPM élevés ; des bruits et surtout le silence, un enjeu parmi d'autres dans le cache-cache avec les revenants qui est ici poussé jusqu'au bout de sa logique de façon presque foutraque. Car il y a surtout de l'humour et de l'ironie, tendre pour les personnages vers lesquels va la sympathie de l'auteur ou plus vacharde pour les pieds nickelés chaussés de rangers qui se rêvent en sauveurs du pays (le reste du monde, barbare, n'ayant de toutes manières aucune valeur).
+
+Car outre le plaisir trivial, les morts-vivants sont ici l'occasion d'observer certaines franges de la société comme George A. Romero souligne lui la société de consommation. Et comme ce dernier, Rodolphe Casso évite la terminologie ayant court dans toute bonne série B faisant état de revenants. Ici, le « Zombie » est cité une fois sur le ton de l'incrédulité et rapidement évacué pour un autre qui justifie aussi bien le Z.
+
+Rodolphe Casso prend un plaisir évident à apporter les grandes manœuvres militaires sur le périphérique et à détruire les perspectives et les bâtiments de Paris aujourd'hui vitrifiés pour le tourisme. Mais il développe surtout tout au long du récit une culture largement populaire saupoudrée d'éléments d'érudition, historique en particulier. Le résultat est intéressant à bien des égards, mais le style et le rythme peuvent en souffrir à l'occasion et les listes de métaphores, bien trouvées au demeurant, s'allongent parfois bien au-delà de la nécessité. L'ouvrage prend aussi trop souvent les atours d'un guide touristique, et si l'on peut être séduit par l'histoire des différents monuments parisiens ou le détail des pièces du palais Bourbon, il est sans doute plus rare que l'on soit passionné par une connaissance approfondie de la forme et la couleur des faïences de chacune des stations de métro.
+
+Malgré ces défauts d'équilibre dans le texte, PariZ est une lecture plaisante. Et pour qui cherche un livre amusant sur une pandémie globale (ou aime collectionner les coquilles, vraiment trop nombreuses dans cette édition) PariZ est une aventure post-apocalyptique agréable entre gros moyens hollywoodiens et excentricité qui ne perd jamais complètement de vue certains problèmes, tout à fait réels eux, de notre société.
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+++ b/gemini/chroniques/2022/acadie.gemini
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+---
+book:
+ author: Dave Hutchinson
+ title: Acadie
+comment:
+ date: 2022-06-11
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146602116
+---
+La Colonie, une constellation d'habitats spatiaux, occupe un système planétaire pauvre et par ailleurs vide. Ce qui lui convient très bien puisque ses habitants cherchent à échapper à l'Agence, l'organisation de la Terre qui recherche ses fondateurs depuis des siècles pour avoir outrepassé toutes les lois bioéthiques en vigueur. Ceux-ci, les Écrivains, ont pourtant donné naissance à une Utopie, laquelle héberge des humains modifiés de toutes les manières, et des êtres géniaux issus de manipulations génétiques plus profondes encore. Si les manipulations sont condamnables, que peut justifier un tel acharnement de la part de la Terre au vu du résultat ?
+
+Acadie débute sous la forme d'une nouvelle à problème, si typique de certains auteurs de l'âge d'or de la SF américaine (que l'on songe à Isaac Asimov par exemple). Ici, le problème prend la forme d'une sonde qui pénètre profondément dans la Colonie dès le début du récit. Événement fort inquiétant parce que normalement impossible : la Colonie est en effet protégée par une ligne d'alerte constituée d'une myriade de satellites minuscules destinés à détecter, voire à détruire, tout intrus se dirigeant vers l'espace occupé par les habitats. Il s'agit donc de comprendre très rapidement ce qu'est cette sonde, si elle a réussi à localiser la Colonie et à envoyer un message, ou s'il faut se résoudre à fuir comme cela est déjà arrivé par le passé.
+
+Le récit avance en chapitres très courts et alterne plusieurs flash-backs qui permettent d'appréhender l'apparence de cette Colonie, sa technologie, son histoire. Ian Hutchinson propose une forme de gouvernement originale et amusante, et des environnements naturels réalistes avec d'omniprésentes contraintes liées à gravité en particulier. Il joue également assez bien avec les échelles d'espace et de temps. Un système planétaire est en effet très vaste et essentiellement constitué de vide. Détecter une poignée d'humains perdus au milieu d'une ceinture d'astéroïdes est une gageure, et l'incertitude du temps qu'il a fallu à la sonde pour arriver ou pour contacter l'Agence sont parmi les questions primordiales auxquelles doit répondre Duke, l'actuel Président de la Colonie. Au bout du compte, la nouvelle est fluide, facile d'accès et rapide à lire, même selon les critères de la collection Une Heure Lumière. La chute n'est pas inédite, mais offre un certain vertige. Pourtant le récit souffre d'un déséquilibre majeur et il y manque le fusil de Tchekhov. Et pour en faire une critique plus précise, il est nécessaire d'en dévoiler un tout petit peu plus.
+
+Pendant les deux tiers de l'ouvrage, le lecteur tourne les pages en se demandant comment cette sonde va enfin livrer ses mystères, quelle solution peut être trouvée afin d'éviter le déménagement de toute la Colonie, ou même quelle étrange qualité justifie la présence de Duke au sein de celle-ci. Et vers la page 87, plusieurs événements vont précipiter l'histoire vers sa résolution. Mais cette accélération s'accompagne d'un sévère virage dans le récit en quelques paragraphes seulement. L'histoire, qui brasse essentiellement les notions de colonisation spatiale, de voyages intersidéraux, de sciences génétiques, va s'appuyer dès à présent sur deux thèmes majeurs totalement passés sous silence jusque là : la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle. Ce qui signifie qu'en une vingtaine de pages seulement, Ian Hutchinson résout le problème qu'il a posé dans un contexte totalement différent de celui de départ. Et cette source de frustration gâche quelque peu les effets de l'épiphanie produite par les toutes dernières pages.
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+++ b/gemini/chroniques/2022/jarvis.gemini
@@ -0,0 +1,17 @@
+---
+book:
+ author: Christian Léourier
+ title: Jarvis
+comment:
+ medium: Présences d'Esprits
+ issue: 108
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+Héritiers de colons terriens échoués sur une planète océanique, les humains de Thalassa se sont constitués en castes et apprennent à vivre avec un environnement difficile en s’appuyant sur les rares connaissances et artefacts qu’ils ont pu conserver de leurs ancêtres. Jarvis est un chasseur ; son travail consiste à tuer les korqs qui menacent les pêcheurs. Mais les choses ne sont pas si simples et sa curiosité et son honnêteté conduiront à son ostracisation. Accompagné d’Uriale, une botaniste qui s’éprend rapidement de lui, et de Parson, un vieux philosophe errant, ses pas vont dès lors le mener dans le sillage des nomades, une communauté d’hommes libres et craints de tous les autres, avec lesquels il va tenter de percer les secrets de la planète et retrouver le savoir des premiers colons.
+
+De son propre aveu, Christian Léourier n’était pas familier avec l’écriture pour la jeunesse quand il débuta ce cycle en 1972. De même l’auteur de cette chronique n’avait guère que Jules Verne en tête lorsqu’il imaginait ce à quoi elle devait ressembler. Or le cycle de Jarvis est d’une grande richesse. Que ce soit par la variété des décors, du vocabulaire utilisé pour le peindre ou des êtres qui les habitent. Tout juste pourrait-on critiquer la forme assez classique et linéaire des récits. Mais-sans doute est-ce justement là la marque des romans d’apprentissage à destination des plus jeunes édités dans les années 70.
+
+Si l’action des premiers romans se concentre sur Thalassa, la quatrième de couverture aussi bien que l’introduction de l’auteur dévoilent immédiatement que Jarvis est un space opera : la petite communauté constituée autour du chasseur va en effet être amenée à se tourner vers les étoiles, et l’imagination fertile de l’auteur fait honneur à la multiplication des possibles. De terres désertiques ou marécageuses en stations orbitales, l’altérité est au cœur de l’écriture de Léourier qui invente les formes végétales et animales les plus diverses, mais aussi des cultures très variées grâce auxquelles il harponne les préjugés, l’égoïsme ou l’étroitesse d’esprit sans jamais verser dans le manichéisme.
+
+Dans son intéressante postface, Xavier Dollo donne quelques influences manifestes de Léourier, telles Ursula Le Guin ou Franck Herbert. On retrouve effectivement dans les sept romans qui constituent cette série, comme d’ailleurs dans le reste de son œuvre, la profonde humanité qui caractérise l’une et l’autre. On y trouve aussi avec Uriale une autre Laureline, soit l’archétype d’une femme active et réfléchie, capable de surpasser le héros désigné en bien des occasions. Et s’ils sont tous comme elle généreux, courageux et tolérants, Jarvis et ses compagnons possèdent cependant un caractère bien propre et aucun d’eux n’est un archétype creux.
+
+Tout ceci fait de cette intégrale une lecture hautement recommandable, pour les jeunes comme les plus vieux, lesquels regretteront sans doute simplement la rapidité avec laquelle ces aventures se dévorent.
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+++ b/gemini/chroniques/2022/la_melancolie_des_sirenes.gemini
@@ -0,0 +1,16 @@
+---
+book:
+ author: Serge Brussolo
+ title: La mélancolie des sirènes par trente mètres de fond
+comment:
+ date: 2022-07-27
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146631176
+---
+Trois ans ont passé depuis que le métro a été entièrement noyé par les eaux du fleuve, tuant des milliers de personnes en une minute. Dans cette ville crépusculaire qui semble se réduire à un centre de luxe cerné de vaste étendues abandonnées, la catastrophe ne passe pas. Pour les proches des victimes qui restent immergées et inaccessibles, comme pour Lize Unke qui a perdu sa sœur ce jour-là. Lize qui revit l'événement tous les jours sans parvenir à faire son deuil, puisqu'elle fait partie du sixième bataillon scaphandrier, lequel parcourt les tunnels inondés pour recenser les cadavres, ou pour tenir à distance les contrebandiers et autres curieux...
+
+On évoque aussi des survivants... Des survivants qui tiendraient trois ans dans des poches souterraines ? Si l'on peut ciller dès le début du roman, le décor happe rapidement l'attention du lecteur amateur d'ambiances moites et décrépites, la détournant de ce détail qui trouvera différentes justifications une fois que l'auteur aura tiré de la situation de départ bien des idées et des conséquences. Car ici comme ailleurs, Brussolo développe des visions baroques, fantasques et cependant terriblement prégnantes. D'une toile de fond aux allures de civilisation déliquescente surgissent en relief des bouches de métro condamnées qui ressemblent à des mausolées, la maison de Lize presque enterrée sous un pont autoroutier, ou encore la propriété familiale des Unke, véritable musée des mauvais genres qui retrace l'assassinat dont elle a été le théâtre au gré de statues qui ponctuent les pièces et le parc. Autant d'idées absurdes ou pénétrantes qui font la moelle d'une histoire sinon parfaitement linéaire.
+
+Le récit n'est d'ailleurs jamais aussi bon que lorsqu'il s'arrête dans la contemplation et la réflexion, dans la multiplication des pistes plus ou moins suivies ensuite, dans le doute sur l'état mental de la narratrice, dans l'enjeu politique d'une situation ubuesque, ou dans le rôle tenu par la mystérieuse Gudrun. La forme peut cependant régulièrement irriter, avec son usage récurrent des phrases entières en caractères italiques qui soulignent les clins d'œil appuyés de l'auteur à ses lecteurs ; lecteurs qui n'ont vraiment pas besoin de cela pour suivre la tranchée nettement tracée par le narrateur. Et l'histoire se précipite malheureusement sur la fin, lorsque l'action prend le pas sur le reste, quand le format de la collection auquel le texte était destiné reprend ses droits. Car La mélancolie des sirènes... est la restitution enfin complète du roman Les fœtus d'acier paru en 1984 au Fleuve Noir. Et on peut comprendre la critique parue à l'époque dans Fiction au regard de la différence dans le nombre de pages entre les deux éditions, et imaginer (l'exercice de comparaison reste à réaliser) à quel point les récits annexes ou les seconds rôles inutiles ont pu être réduits à peau de chagrin pour que le roman rentre dans le moule d'une collection dédiée à la consommation rapide.
+
+Au final, La mélancolie des sirènes... est une excroissance des romans typiques du Fleuve Noir ; par delà le roman de gare, une ambiance, un univers qui s'étale hors du cadre. Ce n'est probablement pas le meilleur Brussolo, mais les pages se tournent toutes seules et les images restent à l'esprit.
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+++ b/gemini/chroniques/2022/le_sphinx_des_glaces.gemini
@@ -0,0 +1,18 @@
+---
+book:
+ author: Jules Verne
+ title: Le sphinx des glaces
+comment:
+ date: 2022-11-06
+ medium: NooSFere
+ source: https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=2146632359
+---
+1839. Joerling, voyageur américain installé quelques temps sur les îles Kerguelen, attend avec impatience un bateau pour poursuivre son périple. Ce navire sera la Jane, malgré les hésitations de son capitaine britannique Len Guy qui étonnent Joerling. Une fois en mer, ce dernier découvre avec stupéfaction que le capitaine prend pour la réalité un roman paru quelques années plus tôt au sujet d'un naufrage ayant eu lieu dans les eaux environnantes, et que cette folie est prête à l'entraîner très loin au sud pour découvrir ce qu'il est advenu de l'équipage.
+
+Le Sphinx des glaces est un récit surprenant qui rend hommage à Edgar Allan Poe en s'appuyant sur l'unique et étrange roman de ce dernier : Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket. Aventures qui sont fortement propices à une suite ou à un commentaire tant leur forme est bizarre et leur fin brusque et mystérieuse. Celles de Joerling commencent quelques mois seulement après la disparition de Gordon Pym et les pas du premier vont rapidement se mettre dans ceux du dernier. En outre, cette « anthropophagie littéraire » occupe au sein du roman une place telle qu'un chapitre entier tient lieu de résumé de celui de Poe.
+
+Le sphinx des glaces peut être comparé aux Aventures du capitaine Hatteras, du même auteur et parues plus de trente ans auparavant. Dans ce récit les protagonistes s'aventuraient plus loin que quiconque dans l'exploration des îles arctiques et l'histoire se faisait anticipation lorsqu'il s'agissait de décrire le pôle nord, territoire encore non exploré à cette époque. Avec l'équipage de la Jane, c'est vers le pôle sud que Jules Verne entraîne ses lecteurs, mais l'atmosphère est cette fois immédiatement fantastique du fait qu'il s'appuie constamment sur le roman passablement halluciné de Poe. Cependant, Jules Verne étant l'auteur qu'il est, ce fantastique perdra peu à peu de son épaisseur et deviendra encore une fois anticipation dans les derniers moments de cette odyssée à travers les lointaines latitudes. De manière moins nette, mais à la manière dont l'ambiance gothique du Château des Carpates baigne toute l'histoire et cède à la science-fiction à la toute fin.
+
+Mais Le Sphinx des glaces souffre de la comparaison ; davantage poussif, il lui manque un personnage comme Clawbonny, qui avait le bon goût d'être un parangon d'empathie aussi bien que le prétexte pour fournir, sur le ton de la conversation, toutes les informations historiques au sujet des expéditions ayant déjà exploré la région à la recherche du passage nord-ouest. Au contraire, le ton est ici fortement théâtral et le déclenchement de l'épopée de la Jane a tout du deus ex machina. La progression du récit est répétitive, les incidents de mer laissent place à des terres désolées avant de nouveaux épisodes maritimes presque identiques, le tout étant scandé par le point très régulier sur la latitude. Enfin, les amoureux du mystère et du fantastique seront extrêmement déçus du voyage, en ce qu'il apporte la rationalité propre à Verne dans tous les interstices laissés par Poe.
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+Restent les personnages et les décors, le souffle porté par le talent de Verne et la langue du XIXème siècle.
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+book:
+ author: Étienne Cunge
+ title: Symphonie atomique
+comment:
+ medium: Présences d'Esprits
+ issue: 108
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+Dans un futur très proche, l'humanité fait enfin face aux catastrophes climatiques annoncées de longue date et celles-ci sont d'une ampleur inédite. Entre les micro-plastiques et la pourriture, les vents déchaînés ou les incendies permanents, les humains ne sont pas tous égaux et les différentes civilisations se sont recroquevillées sur elles-mêmes. Le monde s'articule autour des grands pôles politiques qui sont déjà les nôtres, les États-Unis , la Russie, la Chine et l'Europe s'arc-boutant sur leur idéologie propre. Entre ces points cardinaux et quelques états importants comme l'Inde ou le Brésil, ce ne sont que flux migratoires et seigneurs de guerre, populations poussées par le désespoir ou groupuscules armés tentant de s'accaparer des terres encore vivables. Au cœur de cet équilibre fragile, les complots se tissent. Et en orbite autour de cette Terre en ruine, quatre stations chargées d'armes atomiques assurent le rôle de dissuasion nucléaire...
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+Symphonie atomique est un ouvrage dense, et il faut à l’auteur une bonne centaine de pages pour peindre sa toile et présenter les protagonistes de l’histoire. Malheureusement, et malgré un décor saisissant, cette introduction est parfois plombée par l’usage systématique de flash-backs. Ainsi, pendant près d’un quart du récit, la fameuse règle « show, don't tell » est mise de côté au profit d'un résumé historique qui flirte parfois avec le tract, et le moindre mouvement d'un personnage le replonge dans une longue introspection. Au contraire, d'une manière très fluide et pointilliste, Étienne Cunge est capable de nous offrir un aperçu fascinant de l'univers qu'il déploie en ouvrant chaque chapitre d'une courte scène totalement décorrélée du roman, mais qui donne à voir la vie dans ce futur que l'on soit riche américain, pauvre réfugié dans une capitale européenne, contrebandier ou apatride vivant en pleine mer. Car cet univers est captivant, ou douloureux si l'on est apte à vivre pleinement ce que l'on lit. Et si l'idée de porter la menace nucléaire en orbite est particulièrement stupide en réalité, on ne peut nier les images fantastiques qu'elle procure. De fait, c'est là que va se passer l’une des parties les plus dynamiques de l'histoire, qui est pour une part importante davantage un thriller psychologique qu’un roman d’aventures échevelées.
+
+Plutôt qu’une vision post-apocalyptique, Étienne Cunge décrit un monde en plein effondrement et des sociétés en transition, où le danger permanent exacerbe les mesquineries et la violence quotidienne. Malgré le désir souvent évoqué de sortir d’une science-fiction passablement pessimiste de ces dernières années, on peut lui savoir gré d’apporter avec brio un regard réaliste sur un avenir de plus en plus probable au vu de l'indifférence générale à l’égard du climat encore aujourd'hui.
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+# La clef laxienne
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+## Prologue
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+Je suis passionné d'informatique, de littérature et de musique. Je maintiens un site Web sur lequel se trouvent les partitions que je commets, mon Curriculum Vitae ou encore quelques documents et logiciels que j'ai pu écrire au fil du temps.
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+=> https://david.soulayrol.name
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+Je peux facilement être contacté aux adresses suivantes.
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+=> mailto:david@soulayrol.name Ma principale adresse de courriel
+=> xmpp:david@ti-nuage.fr Mon identifiant sur XMPP
+=> https://pouet.chapril.org/@ds Mon compte sur Mastodon
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+## Chroniques
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+Sur cette capsule se trouvent plus particulièrement les commentaires que j'ai pu écrire pour NooSFere ou le Club Présences d'Esprits deux associations dédiées aux littératures de l'Imaginaire, mais aux démarches et objectifs très différents.
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+=> /chroniques Tous les documents
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+## Ours
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+> Ce générateur est indestructible, incassable et sans défauts. Il ne requiert aucune source d’énergie extérieure. Pour le mettre en marche, appuyer sur le bouton marqué 1. Pour l’arrêter, utiliser la clef laxienne.
+
+— La clef Laxienne, Robert Sheckley
+
+Cette capsule est soigneusement éditée sur Emacs et scrupuleusement générée avec Metalsmith. Elle est hébergée chez l'association Ti-Nuage.
+
+=> https://ti-nuage.fr Ti Nuage
+=> https://apps.ti-nuage.fr/gitea/david/david.soulayrol.name Sources de la capsule